Au cours des 100 000 dernières années, certaines populations de Daphné kiusiana sont passés de la recherche de partenaires à l’autofécondation.

L’autopollinisation ou l’autofécondation, un système d’accouplement où une fleur se fertilise, n’est pas rare. Pourtant, l’histoire de l’évolution et la dynamique derrière ce processus intrigant restent largement inconnues. Ce puzzle est au cœur de la recherche menée par Han et ses collègues, publiée dans les « Annals of Botany ». Leur étude a porté sur l’arbuste sauvage, Daphné kiusiana, endémique d’Asie de l’Est. Il offre un aperçu du voyage fascinant du croisement, où une plante est fertilisée par une autre, à l’autofécondation. La recherche décrypte les changements génétiques et morphologiques subtils qui se déroulent tranquillement depuis plus de 100 000 ans.

Comparaison des caractéristiques morphologiques florales selon la division géographique de Daphné kiusiana. Image Han et coll. 2023.

L’équipe de Han a découvert que les plantes de la région orientale du Daphné kiusiana distribution, qui comprend le sud-est de la Corée et Kyushu, au Japon, présentent des fleurs moins nombreuses et plus petites par rapport à leurs homologues de la région occidentale (sud-ouest de la Corée). Cette diminution de la visibilité, associée à l’augmentation du taux d’auto-individualisation et à des niveaux plus élevés d’homozygotie – similarité génétique au sein d’un individu – sont des caractéristiques de ce que l’on appelle le «syndrome d’auto-individualisation». Il s’agit d’un changement dans le système d’accouplement qui a été observé de près dans l’évolution de nombreuses plantes à fleurs.

Ce qui rend cette étude intéressante, c’est que Han et ses collègues étudient ce changement dans deux populations de plantes étroitement liées. Dans un commentaire sur l’article, Zhang et ses collègues disent :

…[S]les études sur le syndrome d’autofécondation se sont jusqu’à présent rarement concentrées sur des groupes intraspécifiques de populations (sous-espèces, variétés, etc.) avec des systèmes d’accouplement opposés, des taux d’autofécondation et/ou des traits floraux variables. En effet, les variants intraspécifiques devraient être particulièrement adaptés à l’étude de ce phénomène, car ils représentent probablement des cas de divergence récente, ce qui permet de déduire plus facilement les conditions démographiques et/ou (paléo-)environnementales (par exemple climatiques) de la population sous lesquelles les changements dans le système d’accouplement aurait pu se produire.

Zhang et al. 2023

L’équipe de Han a utilisé une série d’analyses génétiques avancées pour démêler cette histoire. Ils ont utilisé des microsatellites nucléaires – des séquences d’ADN répétitives utilisées pour mesurer la diversité génétique – et de l’ADN chloroplastique, pour un séquençage de marqueurs phylogénétiques multiplexés. Ces techniques leur ont permis de retracer les histoires phylogéographiques indépendantes des deux lignées et d’identifier les traits associés à chacune.

Les résultats ont révélé que la lignée orientale de Daphné kiusiana ont montré une réduction progressive de la taille effective de la population, malgré l’absence de signes d’un goulot d’étranglement grave – un événement entraînant une réduction significative de la population. Cela contrastait avec la lignée occidentale, qui suggérait que les plantes orientales s’étaient autofécondées pendant une longue période. Les changements morphologiques de la lignée orientale, marqués par des fleurs plus petites et moins nombreuses, étaient associés à un taux d’autofécondation élevé et à une homozygotie accrue, où les copies maternelle et paternelle d’un gène sont les mêmes.

Les résultats suggèrent que ces changements morphologiques associés à l’autofécondation remontent à au moins 100 000 ans, motivés par la sélection directionnelle pour une autopollinisation efficace. Contrairement aux hypothèses précédentes, l’évolution du syndrome de selfing en Daphné kiusiana n’est pas fortement associé à un grave goulot d’étranglement de la population. Han et ses collègues déclarent dans leur article :

Nos résultats suggèrent que la lignée autofécondée dans D. kiusiana a été largement motivée par une sélection directionnelle progressive vers des niveaux inférieurs de visibilité florale et d’herkogamie pour une autopollinisation efficace en réponse aux changements environnementaux historiques. La transition vers l’autofécondation accompagnée de modifications morphologiques peut avoir été déclenchée par de fortes interactions compétitives entre/au sein des espèces. Facteurs intrinsèques de D. kiusiana, tels que ses traits d’histoire de vie et sa niche dans la succession écologique, peuvent également avoir joué un rôle important dans la facilitation de son évolution. Ainsi, la lignée ou l’espèce du syndrome d’autofécondation peut présenter une signature démographique d’une taille de population effective progressivement réduite, comme preuve d’adaptation.

Han et al. 2023

LIRE L’ARTICLE

Han, E.-K., Tamaki, I., Oh, S.-H., Park, J.-S., Cho, W.-B., Jin, D.-P., Kim, B.- Y., Yang, S., Son, DC, Choi, H.-J., Gantsetseg, A., Isagi, Y. et Lee, J.-H. (2023) « Signatures génétiques et démographiques accompagnant l’évolution du syndrome du selfing en Daphné kiusianal’arbuste à feuilles persistantes,  » Annales de botanique, 131(5), p. 751–767. Disponible sur : https://doi.org/10.1093/aob/mcac142.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *