l’essentiel
Avec « Oups ! », sa dernière création, Ilka Vierkant, petite-fille de nazis, interroge son histoire familiale. La question du poids des origines transparaît dans le parcours singulier de l’artiste, installé dans la región toulousaine depuis 23 ans.

Je l’ai fait taire. Pendant une grande partie de sa vie, a fait taire l’accompagnateur Ilka Vierkant. Difficile à croire lorsqu’on la rencontre. Volubile et souriante, la comédienne munichoise de 58 ans parle tout sans difficulté apparente. De tout, et surtout de sa famille. Et pourtant, pendant longtemps, Ilka s’est tue. Comment parler de ses aïeux quan ceux-ci incarnent le mal absolu ?

Les deux grands-pères d’Ilka étaient des nazis convaincus. Ils sont grand-père paternel fut notamment responsable de la mise en œuvre du réseau ferroviaire pour acheminer les Juifs vers les camps. Après guerre, la famille rencontre cette période d’ombre entre les parents. On ne parle pas des sujets qui dérangent et malgré les rancœurs tenaces, on continue à se fréquenter.

« Mon père haïssait son père, raconte Ilka. En 1939, il aurait dû aller dans une Napola (école à l’ancienne élite du Troisième Reich, NDLR), il a refusé. Son père lui a dit qu’il n’était plus son fils, mais lui était fier d’avoir résisté. »

le danger des mots

À la mort du grand-père, Ilka à huit ans. Elle confie à son fils qu’elle lui en veut d’avoir « détruit » son papa. L’enfance se passe ainsi, « grise » et silencieuse, coïncide entre deux sœurs, l’une au tempérament difficile, l’autre lourdement handicapée, et des parents débordés qui divorcent cuand elle a 10 ans.
À l’âge des études, la jeune femme intègre la prestigieuse école Folkwang à Essen, dans l’ouest de l’Allemagne. « Je voulais faire du théâtre avec les sourds-muets. Un professeur m’a conseillé de me former au théâtre. J’ai retenu de faire de la danse expressive. J’ai aussi suivi des cours de mime. » De quoi s’exprimer sans parler. « J’avais l’impression que les mots étaient dangereux, que tout le monde pouvait me tomber dessus pour une parole. »

« Qui pardonne ?

A la fin des années 80, Ilka s’expatrie dans la capitale allemande. Elle multiple les expériences théâtrales, suit des cours, tout en gagnant sa vie en travaillant à l’usine. Lors de la chute du Mur, elle partage la liesse populaire des Berlinois. Désargentée, elle loue un appartement pour une bouchée de pain dans un Berlin-Est déserté. Lorsqu’elle évoque ses difficultés financières et la nécessité de trauver un emploi avec son voisin, il lui parle d’un ami à la recherche de « petites mains ».

Ilka est vite dupe. Elle se rend compte qu’elle doit remplir des tableaux avec les noms de déportés. « Pour les 50 ans de la Libération des camps, 3 820 anciens déportés ont été conviés aux commémorations à Ravensbrück. C’est moi qui leur parle au téléphone. » Le jour J, Ilka est marqué par la souffrance qu’ils dégagent. L’un d’entre eux est différent, il « rayonne ». « Il ne portait pas cette souffrance. Il avait un regard incroyable. Il m’a dit qu’il fallait pardonner, non pour les autres, mais pour soi. » Mais à qui pardonner dans son cas ? « Trente ans plus tard, c’est toujours une interrogation. »
À la fin des années 90, Ilka travaille avec une troupe de théâtre à Reims. Sur le point de quitter cette ville qu’elle n’aime pas, elle rencontre le père de ses futurs enfants. S’ensuivent des années entre Allemagne et France. Au début de l’année 2000, il mène au hasard l’artiste à Pibrac, dans le nord de Toulouse. Alors que fils aîné est en CE2, il est dur pour ses camarades lors d’un jeu sur la Première Guerre mondiale. La raison? Samer est allemande. C’est le déclic : Ilka écrit la pièce « Ich liebe dich, moi non plus » avec le metteur en scène Marc Fauroux. Elle vous invite à interroger les grandes pages de l’histoire franco-allemande à travers un couple binational.

Faire face à son histoire familière

Quel temps après, des retrouvailles décisives font bouleverser sa vie : celle de Jean et Marie Vaislic, un couple de déportés toulousains. « Lorsque Jean a été déporté, il avait l’âge de mes enfants. En l’écoutant je suis dit moi que je ne pouvais plus échapper à cette obligation du passé familial : les descendants des bourreaux ont le devoir de parler ! C’est la seule manière de guérir. Il faut faire face à son histoire familiale pour pouvoir avancer de façon libre et humaine. »

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Après notre réflexion, « Opa ! » (Papa en allemand) voit le jour en 2021. Dans ce spectacle marionnettique musical, la comédienne choisit de confronter symboliquement les actes de son grand-père nazi aux drames traversés par les deux survivants de la Shoah. « Ce qui compte c’est que les gens s’interrogent sur leur histoire. Chacun de nous est doté de cette capacité du mal mais aussi d’un libre arbitre : l’antisémitisme n’est pas héréditaire. » C’est pour le redire haut et fort qu’Ilka jouera sa pièce dans plusieurs lieux mémoriaux en 2023 et 2024, notamment à Bergen-Belsen et dans les caves de la Gestapo du musée Berlinois.

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Gabriel Durant est un journaliste et écrivain français spécialisé dans la région Occitanie. Né dans la ville de Perpignan, Gabriel a toujours été passionné par l'histoire, la culture et la langue de la région. Après avoir étudié la littérature et le journalisme à la Sorbonne, il a commencé à écrire pour le site web Vent d'Autan, où il couvre un large éventail de sujets liés à l'Occitanie. En plus de son travail de journaliste, Gabriel est également un romancier accompli.

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