Le rewilding – la pratique consistant à réintroduire la flore et la faune sauvages dans leurs habitats naturels – est une stratégie de conservation qui gagne du terrain dans le monde entier. Carlos Navarro et ses collègues ont examiné le rewilding sur la Puna argentine, un écosystème de prairies de haute altitude. Ils voulaient savoir comment le réensauvagement, en particulier le remplacement des herbivores domestiques par leurs homologues sauvages, affecte la biodiversité, en particulier chez les plantes et les macroinvertébrés ?
Historiquement, la Puna argentine abritait des lamas, des vigognes et des guanacos – des camélidés sud-américains qui ont pâturé ces terres pendant des millénaires. Cependant, au cours des derniers siècles, les colons européens ont introduit des moutons et des bovins, déplaçant les herbivores indigènes. Aujourd’hui, les efforts de conservation inversent cette tendance, réintroduisant des camélidés indigènes et supprimant le bétail domestique. Navarro et ses collègues ont examiné les tourbières des Andes argentines, pour voir si le retour des herbivores sauvages guérit la Puna.
La réponse est complexe.
Paradoxalement, les tourbières dominées par les herbivores domestiques, tels que les bovins et les ovins, semblent avoir une plus grande diversité d’herbivores sauvages et des communautés de plantes et de macroinvertébrés aquatiques plus riches. Cela semble contre-intuitif, mais cela souligne une distinction cruciale : une biodiversité élevée ne signifie pas nécessairement un écosystème plus sain. C’est l’équilibre des espèces qui compte.
La raison de la différence de biodiversité réside dans les modes de pâturage. Le bétail domestique paît uniformément, mangeant un peu de tout. En revanche, les camélidés sauvages se nourrissent sélectivement, choisissant des plantes spécifiques et laissant les autres intactes. Ce pâturage sélectif peut limiter la diversité végétale en favorisant certaines espèces au détriment d’autres. Ainsi, le réensauvagement ne diminue pas nécessairement la pression de pâturage ; au lieu de cela, il modifie le type et la diversité des herbivores. Ce changement dans la structure des communautés d’herbivores peut avoir des conséquences considérables sur la biodiversité.
Fait intéressant, la diversité des oiseaux n’a pas montré d’association significative avec le gradient herbivore/sauvage dans l’étude. Ce manque de corrélation soulève davantage de questions sur les connexions multicouches entre les différentes composantes de l’écosystème. Les mammifères prédateurs, par exemple, pourraient-ils jouer un rôle plus influent dans la détermination de la diversité des oiseaux ? Des recherches futures sont nécessaires pour approfondir ces interrelations complexes.
Le rewilding de la Puna argentine présente un sac mixte pour la biodiversité. Bien qu’il favorise une plus grande diversité d’herbivores sauvages, il ne conduit pas nécessairement à un écosystème plus sain. Il est important de noter que le remplacement des herbivores domestiques par des herbivores sauvages n’atténue pas la pression de pâturage mais la modifie. Dans leur article, Navarro et ses collègues déclarent :
Les tourbières andines sont des systèmes socio-écologiques qui ont été gérés pendant des siècles pour maintenir un fonctionnement hydrologique de base et, après la colonisation européenne, l’utilisation des terres par l’homme a entraîné l’augmentation de la diversité des herbivores par rapport aux écosystèmes naturels. Ce modèle historique d’utilisation des terres est compatible avec une diversité relativement élevée de plantes et de macroinvertébrés aquatiques, et n’a montré aucun effet significatif sur les oiseaux. Ces résultats contredisent la généralisation selon laquelle le réensauvagement entraîne nécessairement des gains de biodiversité et soulignent l’importance d’inclure la gestion humaine des terres en tant que contributeur pertinent à la conservation de la biodiversité dans les écosystèmes de haute altitude.
Navarre et al. 2023
Cela suggère que le réensemencement n’est pas une solution unique pour la conservation de la biodiversité. C’est un processus complexe qui nécessite une compréhension approfondie de l’interaction entre les différentes espèces et du contexte historique et écologique spécifique. Comme le montre l’exemple de la Puna argentine, embrasser cette complexité est la clé du succès des futurs projets de réensauvagement.
LIRE L’ARTICLE
Navarro, CJ, Carilla, J., Acosta, OO, Nieto, C., Ovejero, R. et Grau, HR (2023) « Le réensauvagement des herbivores ne favorise pas la biodiversité dans les tourbières andines argentines, » Anthropocène, 42(100382), p. 100382. Disponible sur : https://doi.org/10.1016/j.ancene.2023.100382.