Dans le cadre de notre série d’été sur la sexualité, balade érotico-artistique entre Albi et Auch, à la rencontre d’œuvres d’art où le sexe est central : les maisons closes de Toulouse-Lautrec et des céramiques précolombiennes de culture Mochica.
Sur des canapés cosy de velours rouge, elles sont là. Apprêtées. Au garde-à-vous, dans le « Salon de la rue des Moulins » qui sont nommés au tableau d’Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901). Ces prostituées constituent l’œuvre maîtresse du musée éponyme d’Albi. C’est ici, dans cet ancien évêché devenu musée, qui a commencé notre promenade estivale et coquine, à la rencontre d’œuvres dont la sexualité est le thème central. Ici, une salle entière contient une collection d’esquisses préparatoires et la peinture de Toulouse-Lautrec est consacrée aux maisons closes.
C’est à partir de 1890, alors qu’il a déjà une trentaine d’années, que l’artiste se concentre sur le thème de la prostitution, très en vogue à l’époque. « Lui-même était client régulier et il est là jusqu’à s’installer dans une maison proche à Paris pour en saisir la réalité et la vérité », révèle Florence Saragoza, Conservatrice du musée. « Toulouse-Lautrec représente très peu l’acte sexuel et les avantages dans les maisons closes. Il s’interesse plutôt au quotidien de ces femmes. » Avec une vision quasi-documentaire, il peint notamment le blanchisseur et les tenanciers de la maison close, des disputes, des moments de jeux de cartes, les dîners entre les pensionnaires et les mères-maquerelles et même des scènes de tendresse au lit entre femmes .
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Autant de moments de vie et d’authenticité, loin de l’imagerie vulgaire qu’on a trouvée à l’époque chez certains artistes. « Ici et là, on décèle la blancheur de la peau avec le contraste du bas noir, la rondeur d’une épaule, une bretelle qui glisse sur le bras, on voit des gorges plus que de seins : c’est toujours un érotisme involontaire », analyse la conservatrice. Exemple parfait : « Femme tirant son bas », autre chef-d’œuvre (esquisse) de Toulouse-Lautrec. Parmi les scènes saisies sur le vif : l’inspection médicale des « filles de joie ». Une pratique courante dans les grandes maisons pour réduire les risques de transmission de maladies vénériennes aux clients fortunés.
« Femme assise » (1893) et « Femme qui tire son bas » (1900) sont exposées au musée Toulouse-Lautrec d’Albi.
Ce qui frappe, c’est l’absence de jugement du peintre, pourtant très marqué par son éducation aristocratique. « Lui-même étant d’apparence particulière, de petite taille », 1,52 m, et « souffrant de déformation physique liée à une maladie congénitale, devait être beaucoup jugée. » Pourtant, « il retrouvait à ne pas juger des femmes qui ne le jugeaient pas », a ajouté Florence Saragosse. Il admire même leur franc-parler, leur naturel et leurs corps libérés des corsets.
Mais au final, que sait-on exactement de la vie sexuelle de Toulouse-Lautrec ? Leur biographe Thadée Natanson raconte qu’il existe trois anecdotes froides sur les exigences particulières de certains clients sadomasochistes. Il était aussi très épris des femmes rousses et une vie sexuelle bien remplie. Sans doute pas toujours les conquêtes qu’il aurait dûes toutefois… Il ne s’est d’ailleurs jamais marié et a terminé sa vie malade. « Il n’a pas échappé à la syphilis, c’est sans doute l’une des causes d’une fin de vie très grossière physiquement pour lui avec l’alcoolisme et des problèmes de vue qui l’ont vraiment fait souffrir », conclut Florence Saragosse.

Ces céramiques de culture Mochica, très crues, représentent des « opérations cosmologiques complexes ».
Un vase « cosmologique » en forme de pénis
Autre temps, autres mœurs. Notre parcours artistico-érotique s’achève ici pour Albi et prend maintenant la route d’Auch, dans le Gers, et de son musée des Amériques, à quelque 150 km de là. On le sait trop peu, mais ce lieu accueille la deuxième plus grande collection d’art précolombien (antérieur à l’arrivée des Conquistadors en Amérique) de France après le musée du quai Branly-Jacques Chirac à Paris. Au premier étage, une collection de terres cuites, très crues, s’offre au regard, notamment une série de vases rituels et funéraires de la culture Mochica. Aujourd’hui disparue, elle fut dominante au Pérou entre 100-150 et 800-850 après J-.C.
Le premier vase, très réaliste, un de quoi surprendre. Il représente un personnage creux, probablement un haut dignitaire, doté d’un sexe énorme et proéminent, percé au niveau du gland. « C’est un pénis de libation », explique Fabien Ferrer-Joly, conservateur du musée des Amériques. Avec probablement du sang, du sperme ou une boisson sacrée. Au fil des salles, on découvre aussi des scènes de masturbation et même de copulation anale, entre un homme et une femme, qui tient dans ses bras un nouveau-né et semble l’allaiter.
Boire le liquide séminal et le sang
« La représentation était beaucoup plus débridée en Amérique à cette époque qu’en Occident, où on sentait le poids du péché de la religion chrétienne et des monothéismes qu’ont fait de la sexualité un interdit fort », note Fabien Ferrer-Joly. Même si la sexualité avait bien sûr ses codes et ses règles aussi au Nouveau Monde. « Mais il faut se mettre dans l’optique de ces sociétés où le profane n’existe pas : tout est sacré. On est dans une Mochica idéologie que transmet surtout par la céramique. Elle profite de la sexualité pour exprimer des opérations symboliques complexes et faire référence à la cosmologie, le récit de la création du monde, du Pérou », ajoute le conservateur.
Les Mochica n’ont pas laissé de texte ou d’écrit avec des alphabets, il est donc difficile d’interpréter avec précision leurs artefacts. Ces rituels servaient probablement à des transferts d’énergie entre les différents mondes. « Beaucoup de scènes non-procréatives introduisent des squelettes ou des animaux et sont en réalité très liées à la fécondité, l’harmonie et la communication entre les trois mondes : le monde céleste, l’inframonde et le monde du milieu, notre monde terrestre . » Et peut préciser : « Ces objets heurtent la sensibilité du public, pourtant on n’a jamais eu de soucis car ils sont contextualisés et reçus comme des objets rituels avec une fonction symbolique. »
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Gabriel Durant est un journaliste et écrivain français spécialisé dans la région Occitanie. Né dans la ville de Perpignan, Gabriel a toujours été passionné par l'histoire, la culture et la langue de la région. Après avoir étudié la littérature et le journalisme à la Sorbonne, il a commencé à écrire pour le site web Vent d'Autan, où il couvre un large éventail de sujets liés à l'Occitanie. En plus de son travail de journaliste, Gabriel est également un romancier accompli.